La triste histoire de Séraphin Peac’h

par | Août 1, 2016 | Communication, Divers, Qualité, évaluation | 0 commentaires

Séraphin PEAC’H[1] était fonctionnaire au service central de la cartographie sociale. Il y était entré par la petite porte, personne ne l’avait remarqué. Au début de sa carrière, il occupait des fonctions subalternes : rationaliser les coûts, établir des nomenclatures, classer les activités. Mais petit à petit, il a grimpé dans la hiérarchie de l’organisation et son rôle est devenu de plus en plus essentiel.

Un jour, il a finalement été nommé à la fonction suprême avec pour mission de finaliser une carte de toutes les activités en sept jours.

Le premier jour, il sépara les ténèbres et le jour : dans un coin de la carte, il isola tout ce qui ne pouvait être vu, compté, répertorié ; sur le reste de la carte, il fit la lumière sur ce qu’il fallait voir, ce qui devait être vu, ce qu’il fallait observer. Séraphin vit que cela était bon, c’était le premier jour.

Le second jour, il sépara sur la carte les eaux des terres : d’un côté il rangeait ce qui était flou, fluide et liquide, sans forme ; de l’autre, la carte mettait en valeur le dur, le vrai, le solide, le consistant. Il vit ce qu’il avait tracé et en fut fort satisfait.

Le troisième jour, il plaça sur sa carte des axes, des repères, des normes qui inventoriaient systématiquement les besoins des gens et les réponses : il appela cela « nomenclature ». Il alla se coucher avec la profonde satisfaction d’un travail bien fait.

Le quatrième jour, pour compléter la carte, il dessina des petites cases qu’il juxtaposa les unes à côté des autres en prenant soin de ne pas laisser d’espace entre elles. A ce point de son travail, la carte ressemblait à un damier, alors il fit des cases blanches et des cases noires pour ne pas risquer de les confondre et bien les séparer les unes des autres.

Le cinquième jour, Séraphin traça des routes sur sa carte. Elles reliaient les axes, les repères et les cases en suivant des algorithmes compliqués que personne, en dehors de lui, ne pouvait comprendre. Mais cela faisait des voies à sens unique, des impasses et des raccourcis dont il était très fier.

Le sixième jour, il plaça dans chacune de ses cases tous les habitants de la société qu’il dessinait. Chacun avait sa place, tous étaient regroupés par catégories. Séraphin les appela des « groupes iso-ressources » et en tira une jubilation extrême parce que cela mettait de l’ordre partout.

Le septième jour, Séraphin vit ce qu’il avait fait, il était très excité, habité qu’il était par le sentiment d’avoir mis le monde en ordre. Heureux de se sentir utile, il décida de se reposer. Dans son rêve, il entendit une petite voix lui susurrer à l’oreille « Attention Séraphin ! La carte n’est pas le territoire ! » Alors, Séraphin se leva et décida de quitter son bureau du service central de la cartographie sociale. Il réalisa qu’il n’était pas sorti depuis très très longtemps. Il alla voir le pays dont il avait dessiné la carte de manière si parfaite. Là, il se rendit compte épouvanté que tout était tellement rangé, classé, catalogué, trié, standardisé, normé, par sa carte que toute vie avait disparu.

Il se senti alors bien seul.

[1] SERAFIN-PH est le nom donné aux travaux de réforme de la tarification des établissements et services pour l’accueil et l’accompagnement d’enfants et d’adultes en situation de handicap conduits par la Caisse Nationale pour la Solidarité et l’Autonomie. L’acronyme signifie : Services et Etablissements : Réforme pour une Adéquation des FINancements aux parcours des Personnes Handicapées.

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Présentation de l’auteur

Roland JanvierRoland JANVIER, chercheur en sciences sociales, titulaire d’un doctorat en sciences de l’information et de la communication.
Je suis actuellement président du Comité Régional du Travail Social de Bretagne.
Repolitiser l'action sociale

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