La fonction de chef de service, un espace transitionnel de l’équipe de direction

par | Juin 23, 2007 | Fonction de direction | 0 commentaires

Introduction :

Partons des définitions …

« Chef » : celui qui commande… « de service »… celui qui sert : ça commence mal avec un tel paradoxe !

« Espace transitionnel » : C’est à Donald W. Winnicott que l’on doit le concept d’espace transitionnel. Il décrit le développement de l’enfant en termes de processus mouvants et interactifs. Le jeu y joue un rôle central. C’est le jeu qui permet à l’enfant de créer cet espace d’illusion et d’omnipotence : l’espace transitionnel qui est peuplé de « quasi-objets » (objets transitionnels). C’est un espace où l’enfant met en scène sa toute puissance.

Nous voilà bien mal partis : l’espace transitionnel est une illusion qui sert de scène à la toute puissance !

Et pourtant… essayons de faire parler les mots.

« L’espace :

  • étendue indéfinie qui contient et entoure toute chose.
  • surface, endroits affectés à une activité particulière ou à un usage (les espaces verts, l’espace publicitaire)
  • au sens figuré, ensemble des relations déterminant un domaine donné en matière sociale, économique (l’espace littéraire, l’espace politique). »

« Transitionnel : qui constitue un état intermédiaire entre un état et un autre » [1]

La fonction de chef de service s’inscrirait dans un « entre deux » ? Ce qui fait la ville, ce ne sont pas les bâtiments mais les rues qui les séparent, les « espaces ». Mais l’espace n’est pas une vacuité, c’est un endroit affecté à une activité particulière, mettant en relation. Et cette fonction serait transitionnelle parce qu’elle ferait lien entre un état et un autre.

Penser la fonction de chef de service comme espace, c’est lui ouvrir des perspectives dynamiques : séparer, relier, passer d’un état à un autre. Lien entre le bas et le haut, entre le dedans et le dehors, entre l’instituant et l’institué, entre l’ordre et le chao. Sans ce lien, l’institution courrait le risque du clivage, de la schizophrénie. Le cadre intermédiaire n’est donc pas un intermédiaire mais un médiateur.

Cadre intermédiaire ? Est-ce mieux que chef de service ? Pourquoi pas « responsable de service » ? Ou « responsable d’équipe » ? Mais sûrement pas « chef d’équipe » ! D’ailleurs, CAFERUIS veut dire : Certificat d’Aptitude aux Fonctions d’Encadrant et de Responsable d’Unité d’Intervention Sociale… On y retrouve le terme de responsable mais aussi celui d’encadrant… Le cadre peut-il avoir un lien avec l’espace ? Oui si l’on considère que le cadre assume une fonction d’espacement en ce sens qu’il délimite un espace. Nous revoilà à notre espace transitionnel.

Pour développer ces idées exprimées en vrac à travers les mots qui jouent ensemble, je vous propose ce que nous avons tenté de clarifier, dans l’association que je dirige, de la fonction de cadre hiérarchique.

Une conception de la dirigeance :

Proposition d’une définition personnelle : la gouvernance, c’est l’art de naviguer entre les récifs (de prendre des risques au sens étymologique) alors que la dirigeance, c’est l’art de fixer le cap. La gouvernance concerne la manière d’associer toutes les parties prenantes à la navigation. La dirigeance les procédures pour décider de la direction à prendre.

Ces deux notions impliquent des conceptions sur le fonctionnement démocratique de nos organisations. Pas une démocratie politique telle que nous la connaissons dans nos institutions républicaines mais un mode de participation de tous les acteurs qui nous donne des repères pour le pilotage de l’organisation.

Je pense qu’il nous faut réarticuler autrement les fonctions entre le politique, le technique et le stratégique. Cela suppose de revisiter notre conception de l’engagement des acteurs. Il n’y a pas d’un côté des militants et de l’autre des exécutants : chaque acteur enrichit, de sa place, le projet associatif. Nous ouvrons là une perspective systémique pour nos organisations (et non plus la chaîne descendante au travers des échelons hiérarchiques).

Je pense ensuite qu’il faut clarifier les marges de manœuvre professionnelles. La dirigeance s’entend comme la garantie du professionnalisme des acteurs. Elle prend les moyens de ne pas confondre les dimensions privées et professionnelles. C’est à titre professionnel que chacun est reconnu dans l’organisation.  C’est donc l’autonomie (relative maximale) des acteurs qui doit être assurée par un cadre institutionnel qui reconnaît les compétences spécifiques de chaque profession, facilite leur expression, les articule entre elles, favorise leur mise en complémentarité, développe la pluridisciplinarité, la transversalité.

Garantir les places et les rôles est un projet collectif. Cela passe par la mise en évidence des lignes hiérarchiques et fonctionnelles, non pour circonscrire chacun dans un domaine fermé d’activité mais pour articuler les compétences.  

Cela nous amène logiquement à la fonction d’autorité. L’autorité (le pouvoir central) est un élément déterminant de la qualité de la vie démocratique d’une organisation. Mais, comme nous sommes en république (laïque, démocratique), cette autorité n’est pas la résultante du pouvoir de Dieu sur les hommes, elle repose sur une légitimité. La légitimité de la fonction d’autorité impose qu’elle soit lisible dans son exercice, compréhensible. Cela nécessite que les cadres hiérarchiques, soient en mesure :

  • de dire ce qu’ils font, de faire ce qu’ils disent, d’expliciter leurs choix,
  • de s’assurer régulièrement de leur impact sur la vie quotidienne des équipes,
  • d’aménager des espaces collectifs d’évaluation des effets de leurs décisions[2].

La conception de la dirigeance exposée ici, telle que nous tentons de la développer dans l’association où je travaille implique de ne pas s’enfermer dans l’individualisation des rôles pour développer des représentations collectives. Cela suppose de repérer les différences et les convergences d’intérêts, liées aux places des uns et des autres. Cela suppose également que chaque groupe d’acteurs dispose des moyens d’élaborer sa propre parole en relative autonomie vis-à-vis des autres groupes, notamment de la hiérarchie.

Qu’en est-il alors de la fonction de cadre hiérarchique ?

Cette fonction, telle que nous l’avons définie repose sur les points suivants :

Valider les compétences :

La fonction de cadre n’est pas définie uniquement en référence à une qualification donnée, mais intègre des parcours de formations et d’expériences individuels divers.

Appliquer une éthique de la discussion :

Prendre le temps de s’interroger, de chercher à comprendre les décisions ; Expliciter les choix faits ; Motiver les décisions prises ; Favoriser des espaces de débats ; Mais aussi distinguer clairement le temps du débat, du moment de la décision et du temps de sa mise en œuvre. Tout ne doit pas être débattu mais toute décision doit être expliquée et motivée.

Tout désaccord doit s’exprimer dans les instances prévues à cet effet et entre les personnes concernées.

Adopter un principe de loyauté :

La loyauté, selon les principes éthiques qui précèdent, ça ne s’impose pas, ça se mérite ! La loyauté ne signifie que tout le monde est d’accord sur tout mais que tout désaccord est traité selon l’éthique de la discussion. Ce principe de loyauté doit s’articuler :

  • En amont avec l’éthique de la discussion ;
  • En aval avec le principe de responsabilité

Vivre une responsabilité solidaire :

Le responsable de service n’est pas la courroie de transmission de ce qui a été décidé ailleurs. Il prend position sur son champ de responsabilité (établissement, service, équipe) et fait sienne l’orientation fixée par l’organisation pour la porter sur son établissement, service ou équipe. Cela suppose donc que chacun s’engage à être solidaire des décisions prises à quelque niveau que ce soit dans l’organisation.

Respecter la ligne hiérarchique :

Les cadres veillent à respecter la responsabilité de chaque cadre hiérarchique et à la faire respecter par les salariés. La seule exception à cette règle concerne le « droit de recours » pour tout professionnel dans une situation jugée grave ou urgente.

Assumer une fonction qualifiante :

Nos organisations sont des « sites qualifiants », elles intègrent les parcours professionnels des salariés dans une perspective de promotion et de qualification, de valorisation des compétences. Les cadres sont les premiers acteurs de cette logique d’excellence. Ils sont eux-mêmes porteurs d’un potentiel d’expériences et d’expertises qu’ils valorisent et enrichissent à travers diverses interventions à l’intérieur et à l’extérieur de l’organisation. (interventions de formations, mandats de représentation, recherche…). Et en se souciant de leur propre formation.

Déléguer et contrôler :

« La fonction de cadre intègre toutes les dimensions de la délégation (délégation de mission et délégation de fonction permanente et temporaire), qui vont de la responsabilité au contrôle. Il ne peut y avoir de délégation sans contrôle. Tout cadre qui délègue une fonction (à un autre cadre ou à un salarié non cadre) met en œuvre dans le même temps les modalités de contrôle. Pour sa part, le cadre hiérarchique rend compte de l’exercice de ses délégations à son délégant. »

Assumer la dimension symbolique de la fonction :

Le cadre hiérarchique assume une fonction contenante. Il est garant de l’interdit. Il  facilite l’émergence d’une pensée et d’une action créatrices dans l’espace de travail.

Travailler en équipe :

La fonction de cadre ne peut s’envisager sans être intégrée à un collectif de travail entre cadres hiérarchiques. C’est la notion de collégialité qui est une source de légitimité plus importante à cette fonction d’autorité.

Conclusion

Implicitement, vous aurez fait les liens qui s’imposent avec la fonction de chef de service. Vous avez entendu entre les mots :

  • Qu’il n’est pas un intermédiaire mais un acteur au cœur d’un système qui combine le politique, le stratégique et le technique ;
  • Qu’avant d’avoir un rôle de contrôle, il est là pour garantir les postures professionnelles des membres de son équipe ;
  • Que pour garantir les places et les rôles, il anime collectivement un projet en articulant les compétences (notamment par des lignes hiérarchiques claires) ;
  • Qu’il assume pleinement la fonction d’autorité, c’est-à-dire qu’il la légitime en la rendant visible, lisible et compréhensible ;

Le chef de service (revenons à ce terme…) n’agit pas à partir de ce qu’il est – ce qui supposerait un charisme – mais sur la base de compétences acquises et entretenues (formation) et de principes (loyauté, éthique de la discussion, responsabilité solidaire, délégation et contrôle, travail en équipe, etc.).

Roland JANVIER

D’après les documents référentiels de la fonction de cadre à la

Sauvegarde de l’Enfant à l’Adulte en Ille et Vilaine



[1] © Encyclopædia Universalis 2006

[2] Ces principes ne supposent pas que tout soit su de tous mais que toute décision, toute orientation de travail, soient motivées, expliquées et justifiées, notamment au regard des débats qui les ont précédées.

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Présentation de l’auteur

Roland JanvierRoland JANVIER, chercheur en sciences sociales, titulaire d’un doctorat en sciences de l’information et de la communication.
Je suis actuellement président du Comité Régional du Travail Social de Bretagne.
Repolitiser l'action sociale

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