Le parcours, nouveau défi pour le travail social et les formations

par | Avr 13, 2023 | Articles, Droit des usagers, Pédagogie, Education, Qualité, évaluation | 0 commentaires

Introduction

L’émergence de la notion de parcours en travail social est liée à l’individualisation des trajectoires sociales des personnes accompagnées. En écho à Alain Ehrenberg, nous pouvons affirmer que le parcours – terme que l’on emploi dans le social, le sanitaire, la psychiatrie, le travail ou l’habitat – est le symptôme de la revendication généralisée à l’autonomie des individus dans une « société du pouvoir d’agir ». Autour du parcours fleurissent les notions d’accompagnement et de projet de vie formant une sorte de triptyque au service de l’autonomie.

Parcours est donc présenté comme un nouveau référentiel des pratiques d’accompagnement – l’est-il vraiment ? Tous ces concepts s’inscrivent dans un paysage déjà occupé par les notions de désinstitutionalisation, d’empowerment, d’auto-détermination, de transformation de l’offre médico-sociale, d’une évaluation de plus en plus standardisée, d’un formatage des financements (Cf. serafin-ph), bref d’un pilotage par les instruments de plus en plus affirmé.

Comment alors s’approprier ce projet d’accompagner les parcours de vie des usagers sans tomber dans la trappe de cette rationalité instrumentale qui laisse croire que le parcours est le chemin le plus court du problème à sa solution ?

Pour cela, je propose de vous dire quelques mots des notions qui forment le contexte de l’analyse proposée dans cet exposé. En fait trois fois trois mots dans une première partie.

Puis nous analyserons la situation à partir de quatre questions pour finir en ouvrant des perspectives selon cinq points de vue.

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1.    Le contexte en trois fois trois mots

Essayons de comprendre ce qui se cache derrière cette utilisation du terme de parcours au singulier laissant penser que le parcours répond à des logiques simples et qu’il peut s’envisager en l’isolant de son contexte. Ces éléments de contexte que nous allons décrire en trois fois trois mots permettront de comprendre pourquoi on tend à mettre en exergue le parcours comme une méthode à appliquer, en réduisant l’accompagnement des parcours des usagers à un simple chemin à suivre. Et surtout, en considérant le parcours comme un fait cohérent en soi.

Cette projection irréaliste sur la « vraie vie » des gens construit une vision erronée de la notion de parcours. Cette idéalisation de l’existence nous empêche de voir le parcours comme étant d’abord déterminé par des aléas. Cet enfermement mécanique des projets de vie réduit le parcours à un programme.

1.1.          Trois mots à propos du réductionnisme : Modèle, causalité, simplification

Modèle :

Les sciences, depuis la Grèce, ont été déterminées par l’approche réductionniste. Pour comprendre le monde, il suffisait de le réduire à des modèles simplifiés qui permettent de l’interpréter. Le scientisme radicalise cette idée en opérant une classification rationnelle des disciplines dans le but de découvrir le modèle des modèles qui fournira l’explication ultime du monde.

La relativité va ensuite remettre en cause cette croyance en démontrant qu’il n’y a pas d’homogénéité du monde. La connaissance humaine reste imparfaite et limitée parce qu’elle dépend du sujet observant. La physique quantique ajoute que cela dépend également des conditions de l’observation.

Cependant, cette matrice réductionniste marque encore aujourd’hui les mentalités : s’il y a un modèle, il suffit de l’appliquer.

Ce pourrait être cette impasse intellectuelle qui nous fait utiliser le terme de parcours au singulier.

Causalité :

Dans la suite de cette vision, les sciences ont cherché à établir les lois qui régissent les phénomènes avec cette certitude qu’il existerait donc une loi universelle, applicable partout et en toutes circonstances. Ainsi, les mêmes causes, produites dans les mêmes conditions, doivent invariablement produire les mêmes effets.

La révolution cybernétique a démontré que le lien entre causes et effets est influencé par des « feed-back » des effets sur les causes, que les dispositifs ne sont pas stables, toujours soumis à l’entropie.

Cependant, ce lien mécanique de causalité et l’illusion de systèmes stables restent aujourd’hui une référence peu discutée.

Ce pourrait être ce cul-de-sac méthodologique qui nous fait penser que le parcours répond à des logiques simples.

Simplification

La pensée simplificatrice revient à diviser les éléments d’un ensemble pour les comprendre indépendamment les uns des autres. Cette méthode repose sur le postulat que le tout est la somme des parties qui le composent.

S’intéressant aux interactions entre les éléments du système, la systémie dévoile que le tout est plus que la somme des parties et que la compréhension d’un ensemble repose avant tout sur la compréhension des relations entre les éléments du système.

Cependant, ce découpage méthodique de la pensée simplifiante détermine encore aujourd’hui notre manière de comprendre les phénomènes.

Ce pourrait être cette cécité de nos analyses qui nous fait envisager le parcours en l’isolant de son contexte.

1.2.          Trois mots à propos de la rationalisation du travail social : Maîtrise, binaire, qualité

Maîtrise

Dans le travail social, le réductionnisme a imposé l’idée qu’il n’y avait pas trente-six manières de faire. Puisqu’il existe un modèle simple, des liens de causalité immuables et une possibilité de traiter les situations en isolant les problèmes pour les traiter indépendamment les uns des autres, il suffit de mettre en œuvre la bonne solution et donc de rechercher le rapport coût/efficacité le plus juste.

La conversion de l’État au nouveau management public – qui repose sur cette certitude qu’il n’existe qu’une seule bonne manière de procéder – a consacré la volonté de maîtrise de la puissance publique sur les méthodes d’intervention sociale pour en réduire le coût tout en cherchant à accroître sa productivité.

Ce pourrait être cette volonté de rentabiliser le retour sur investissement du travail social qui met en exergue le parcours comme une méthode à appliquer.

Binaire

C’est cette logique qui légitime une vision binaire du monde. Les phénomènes sont simples à interpréter selon un classement clivé : bien / mal, bon / mauvais, positif / négatif…

Cette simplification outrancière des réalités humaines et sociales que doit traiter le travail social renforce sa fonction disciplinaire en réduisant l’analyse des comportements à quelques principes de conformité. Ce faisant, la commande publique passée au travail social l’éloigne de la réalité plurielle, complexe et multiforme qu’il a à traiter au quotidien (Cf. dissonance cognitive).

Ce pourrait être cette codification binaire des réalités qui réduit l’accompagnement des parcours des usagers à un (bon) chemin à suivre.

Qualité

Découlant de ces réductions simplificatrices, une conception étroite de la qualité s’est imposée au travail social avec forces recommandations de bonnes pratiques professionnelles et référentiel unique d’évaluation.

Ce formatage des résultats attendus – jetant au passage aux oubliettes les obligations de moyens – participe d’une standardisation des pratiques qui met à mal la capacité de l’accompagnement social à s’ajuster à la singularité de chaque situation.

Ce pourrait être cette uniformisation des conceptions qui fait voir le parcours comme un élément cohérent en soi.

1.3.          Trois mots à propos de la notion de parcours : Continuité, cohérence, prévisibilité

Continuité

Ces tendances lourdes qui orientent les interventions sociales ont pour première conséquence d’interpréter les parcours des personnes accompagnées selon un principe de linéarité. Le parcours se résume ainsi à une trace continue laissée sur le chemin de vie.

Cette projection ne reflète pas la réalité de toute existence humaine, toujours marquée par des discontinuités. Cela est particulièrement vrai pour les personnes vulnérables qui connaissent une succession de ruptures dans leur vie.

Ce pourrait être cette projection irréaliste sur la « vraie vie » des gens qui construit une vision erronée de la notion de parcours.

Cohérence

Une autre fausse idée s’impose en conséquence : la vie et les choix des personnes reposent sur un principe logique qui est cohérent. Il s’agirait donc de permettre aux personnes de remettre de la cohérence dans leurs choix pour faire de leur parcours de vie une dynamique vertueuse.

Cette rationalité fait l’impasse sur les dimensions sensibles de l’existence. Les expériences de vie sont d’abord marquées par des affects, positifs ou négatifs, des ressentis, des émotions, tous sentiments qui échappent à une pure cohérence théorique.

Ce pourrait être cette idéalisation de l’existence qui empêcherait de voir le parcours comme déterminé par des aléas.

Prévisibilité

Le scientisme porte en lui la notion de prévision. Si tout peut se calculer, il devient possible de prédire ce qui va arriver en fonction de ce qui est présent. Les éléments de réalité de la vie des personnes ici et maintenant permettraient de projeter l’avenir en renforçant ce qui fonctionne et en éradiquant ce qui dysfonctionne.

Cette prévisibilité enferme l’action dans les contingences du moment et les personnes dans les déterminismes qui les caractérisent. L’avenir se réduit alors à un programme alors qu’il devrait être d’abord un projet.

Ce pourrait être cet enfermement mécanique des projets de vie qui fait du parcours un programme.

2.    L’analyse en quatre questions

Essayons de comprendre ce qui se joue autour de cette idée de parcours. Selon une pensée réductionniste, le parcours peut poser la question d’un idéal à atteindre. Dans ce cas, il induit une autre question sur l’idée de performance. Ce qui interroge la notion de résultat. Finalement, toutes ce notions nous confrontent à la question de la norme.

2.1.                Question d’idéal

Projeter un idéal sur le monde a toujours un effet réducteur. Au lieu de partir de la situation qui se présente pour voir comment bricoler quelque chose avec les éléments disponibles, on pose, a priori, le but à atteindre. Or, cette finalité transcendante non seulement empêche de voir les choses telles qu’elles sont mais, de plus, réduit considérablement les points d’appui possibles pour l’action.

En effet, au lieu d’exploiter les opportunités qui se présentent, l’intervenant n’a pour seul levier que l’idéal à atteindre. Cet idéal est le sien – ou du moins celui qu’il porte au nom de la société qui le mandate – et il existe en toute indépendance de la personne à qui il s’adresse. Ainsi, la personne concernée n’a comme seule solution que d’adhérer à l’idéal qu’on lui présente. Aucune négociation n’est envisagée pour rechercher un compromis entre ses attentes et ce qu’on projette pour elle– sur elle.

Selon cet enchaînement, le parcours est vécu comme le chemin le plus court entre le problème posé par les conditions de vie de la personne et la solution à ce problème porté par un idéal forcément abstrait.

Pourrions-nous, a contrario, envisager le parcours comme un espace de négociation entre les réalités de vie de la personne et les attentes de la société à son égard ?

2.2.                Question de performance

Selon la visée de la rationalité instrumentale, la performance est le rapport le plus économe possible entre les moyens investis et les résultats obtenus. Ce ratio moyens / effets est au cœur du nouveau management public (« Un euro dépensé est un euro raisonné, évalué, utile à la protection des Français. » G. Atal, Ministre des comptes publics, 26/09/22 à propos du projet de lois de finances).

Cette manière de voir coupe les ailes à la créativité nécessaire à tout accompagnement social. Si le chemin est déjà tracé, que reste-t-il aux acteurs comme marge de manœuvre pour s’approprier un projet ?

Selon cette injonction à la rentabilité du travail social, accompagner le parcours de vie d’une personne ne peut donc pas signifier accompagner ses errances et ses erreurs. Le parcours doit être assorti d’une performance, c’est-à-dire produire les effets attendus.

Pourrions-nous, a contrario, envisager le parcours comme un temps d’essai erreur qui permet d’envisager tous les possibles ?

2.3.                Question de résultat

Ces glissements conceptuels que nous analysons ici ont transformé les objectifs poursuivis par le travail social. Nous sommes passés des effets au résultat. Ce qui est attendu de l’intervention sociale ne relève pas de données quantifiables mais d’impacts pas toujours lisibles et pas toujours évaluables. Ces effets relèvent du mieux-être, de la reconnaissance, de la prise de conscience, d’une meilleure confiance en soi, de la capacité à mobiliser de nouvelles énergies pour sa vie, de relations de proximité, de solidarités nouées, etc. Comment peut-on comptabiliser ces effets pour en faire un résultat ? Comment répondre à la question « De combien vous sentez-vous mieux ? » ou « Quelle quantité de confiance en vous avez-vous cumulé ? »

Cette quantophrénie (maladie de tout traduire en chiffres) est une vision du travail social par le petit bout de la lorgnette qui, si elle est hégémonique, occulte l’essentiel de ce qui se passe dans la travail avec et pour autrui.

Réduire l’évaluation d’un parcours de vie à quelques indicateurs comptables (nombre de mois travaillés, montant des aides débloquées, nombre d’entretiens réalisés, etc.) est une opération qui ampute la réalité.

Pourrions-nous, a contrario, envisager le parcours comme une aventure partagée entre le travailleur social et le bénéficiaire qui déploie des effets au-delà du mesurable ?

2.4.                Question de normes

Le problème qui émerge en arrière-plan de ces transformations des tenants et aboutissants du travail social, c’est la question des normes. Le travail social repose sur des normes sociales qu’il tente de faire adopter ou appliquer à des publics qui se situent à côté d’elle soit parce qu’ils ne les intègrent pas (difficultés éducatives, marginalités…), soit parce qu’ils ne peuvent y accéder (handicap, dépendance, maladie…), soit encore parce qu’ils en sont exclus (précarité économique, absence de solution de logement, éloignement du monde du travail…). Mais son rôle normatif n’est pas sa seule raison d’être ou la seule dimension de son action. Par son existence même, il met au travail le rapport social entre normes et conduites des personnes. C’est-à-dire qu’il participe aussi à un assouplissement des normes, à un abaissement des seuils de tolérance. C’est ainsi que l’on peut interpréter le thème de « société inclusive ».

Réduire la fonction du travail social à sa seule dimension disciplinaire tend à éroder l’ambition républicaine de solidarité nationale et à réduire ses actions à des prestations de services normalisantes.

Le parcours de vie, sous cet éclairage, devient un moyen de contrôler les publics déviants pour les remettre « dans le droit chemin ».

Pourrions-nous, a contrario, envisager le parcours comme un sentier qui peut emprunter des chemins de traverse pour permettre à chacun de trouver sa voie ?

3.    Les perspectives en cinq points de vue

Nous venons d’entrevoir que le parcours pourrait être un espace de négociation entre les réalités de vie de la personne et les attentes de la société, un temps d’essai erreur qui permet d’envisager tous les possibles, une aventure partagée entre le travailleur social et le bénéficiaire qui déploie des effets et non un résultat comptabilisable. Le parcours apparaît alors comme un sentier qui peut emprunter des chemins de traverse pour permettre à chacun de trouver sa propre voie.

Comment ces perspectives s’éclairent-elles selon les points de vue des différentes parties-prenantes du travail social ?

3.1.                Du point de vue des personnes concernées

Le parcours s’oppose au destin, c’est-à-dire aux déterminismes qui pèsent sur les personnes du fait de leur vulnérabilité.

Être en situation de handicap, c’est ne pas être « comme les autres », être mis de côté du fait de problèmes de comportement, de mobilité et d’accessibilité, de compréhension des codes… Le parcours peut alors être envisagé comme une stratégie pour faire reconnaître ces singularités, un chemin qui prouve l’utilité sociale de chacun, une voie pour enrichir la société des différences qui la constituent.

C’est ainsi que faire l’expérience d’une déambulation urbaine en fauteuil roulant permet aux non-handicapés, d’appréhender autrement leur ville.

Être dépendant, c’est être soumis à la « bonne volonté » des aidants, professionnels ou proches, à être le réceptacle des soutiens qu’ils apportent. Le parcours peut alors être envisagé, non comme un chemin de servitude mais comme le moyen de préserver et renforcer les capacités encore mobilisables et de les mettre à disposition d’autrui.

C’est ainsi que la cohabitation d’une crèche ou d’une école et d’un EHPAD permet aux personnes âgées de se mettre à disposition des enfants pour raconter leur vie, des histoires…

Être exclu socialement, c’est être relégué sur les bords de la scène sociale, à distance des lieux de vie et d’activités, à ne plus avoir accès aux biens communs. Le parcours peut alors être envisagé comme une ouverture libératrice qui bouscule les représentations sociales pour faire valoir les attentes des personnes en situation d’exclusion.

C’est ainsi que des actions comme le croisement des savoirs conduites par ATD-Quart-monde réhabilite les cultures et les savoirs des personnes en grande pauvreté.

Penser le parcours comme le moyen de transformer une vulnérabilité en atout pour la personne et pour le bien commun, voilà une ambition qui ouvre de nouvelles perspectives à la notion de parcours !

3.2.                Du point de vue des professionnels

Pour les travailleurs sociaux, le parcours peut représenter un enfermement dans les injonctions qui entourent ce thème à la mode. Il s’agit alors de diriger la personne sur le bon chemin, chemin qui est tracé a priori. Cette manière de faire rencontre un tropisme omniprésent dans le travail social : le professionnel est censé savoir ce qui est bon pour l’autre.

En rupture avec ces tendances normatives, le parcours peut signifier un changement de paradigme symbolisé par la notion d’accompagnement. Avec le parcours, nous quittons les notions d’assistance, de prise en charge ou de tutelle au bénéfice de l’accompagnement.

Mais cela suppose de radicaliser cette notion d’accompagnement. Accompagner, ce n’est pas guider, c’est être avec et faire ensemble un bout de chemin. Cela signifie donc d’accepter d’aller rencontrer l’autre là où il est (« aller vers »), là où il en est, sans jugement, sans idée préconçue de ce qu’il conviendrait de faire.

Le projet d’accompagnement ne préexiste pas à celui-ci, il naît au fur et à mesure du chemin qui s’invente ensemble. C’est en ce sens que le parcours est à interpréter comme un espace de négociation. Car le travailleur social n’abandonne pas ses références et ses valeurs pour se laisser balloter tel un bateau ivre par les errances et transgressions de la personne accompagnée. Il ouvre un dialogue, de nature conflictuelle, entre les valeurs sociétales qu’il représente et la réalité vécue par la personne.

Le parcours, vu ainsi, n’impose pas les vues de l’un sur l’autre mais ouvre une discussion sur les compromis à trouver pour permettre à la personne de vivre avec les autres.

3.3.                Du point de vue des mandataires et des encadrants

L’incertitude dans laquelle vit notre monde a un effet pervers : pour la contrer, le réflexe est de vouloir tout maîtriser, tout contrôler. C’est ainsi que jamais l’État ne s’est autant immiscé dans les affaires privées et dans les institutions avec un grand renfort d’outils, de procédures et de protocoles. Cette tendance lourde se reproduit dans les relations des établissements et services sociaux et médico-sociaux avec les autorités chargées de l’autorisation du contrôle et de la tarification. Elle s’insinue également, à l’interne des organisations, dans les rapports hiérarchiques. Ce jeu de contraintes, voire de suspicions réciproques, rigidifie tous les fonctionnements et insécurise les acteurs à tous les niveaux des organisations.

À l’inverse de cette tendance, le parcours, envisagé comme un espace de liberté et de créativité, demande de l’autonomie, des marges de manœuvre, pour permettre l’innovation, voire l’improvisation.

Cela suppose donc de penser des rapports avec les autorités et au sein des organisations fondés sur le principe de subsidiarité pour laisser la plus grande latitude possible aux professionnels de terrain.

3.4.                Du point de vue des formateurs

Disposant de référentiels de compétence et de formation de plus en plus précis, les institutions de formation des travailleurs sociaux voient leurs propres marges de manœuvre se réduire. D’autant plus que l’objectif est de garantir la réussite des stagiaires de formation initiale aux examens de fin d’étude et un retour sur investissement satisfaisant pour les employeurs qui envoient leurs salariés en formation continue. Là aussi, les critères de performance se sont introduits.

Comment envisager la formation des professionnels dans ce contexte ? C’est une question pédagogique qui n’est pas nouvelle mais qui se pose aujourd’hui avec une acuité différente : faut-il préparer des travailleurs sociaux « fantassins de la normalisation sociale » ? Ou des acteurs des transformations sociales nécessaires ?

Pour relier cette question au nouvelles pratiques d’accompagnement des parcours des personnes concernées : doit-on former des guides qui connaissent les voies à emprunter ou des randonneurs de sentiers qui apprennent à suivre les configuration du terrain où ils évoluent avec les usagers ?

C’est donc du côté de la formation à l’esprit critique que se tournent les regards pour préparer ces futurs acteurs de l’accompagnement social ou pour permettre aux professionnels déjà installés de changer de logiciel.

3.5.                Du point de vue de la société

Pour conclure,  tentons de prendre la mesure de ce que le changement de perspective offert au travail social par le concept de parcours a comme impact global sur notre manière de faire société.

Là aussi, les logiques d’ordre s’opposent aux dynamique de mouvement selon deux approches sociales différentes.

Nous ne revenons pas sur le fait que la notion de parcours peut signifier, dans une logique d’ordre, qu’il y a un chemin établi et qu’il suffit de le suivre pour réussir l’inclusion sociale des personnes.

Chacun aura compris que je défends ici une conception plus dynamique de l’accompagnement des parcours de vie des personnes, non en fonction d’un agencement social prédéterminé mais selon une dynamique d’échanges et d’interactions – très inspirée des approches systémiques décrites plus haut.

Ce faisant, il m’apparaît que nous pouvons faire de la notion de parcours une réelle dynamique de transformation sociale en phase avec la définition légale du travail social qui vise le « changement social », « l’émancipation », la « pleine citoyenneté », « l’accès à l’autonomie », « le développement social et la cohésion de la société », le « développement des capacités des personnes à agir ». Le tout s’inscrivant dans des principes de « solidarité » et de « justice sociale ».

Nous l’aurons compris, l’interprétation que nous pouvons faire de l’idée de parcours, la manière dont nous pouvons nous en saisir, est un enjeu éminemment politique car il pose la question de la façon dont nous permettons à chacun de tracer son chemin dans l’espace commun du vivre ensemble. Parce que, in fine, le parcours n’est pas une affaire d’individus mais de sujets sociaux inscrits dans des collectifs.

Voir également sur ce thème : https://rolandjanvier.org/repolitiser/article/les-parcours-une-opportunite-pour-repolitiser-laction-sociale.html

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Présentation de l’auteur

Roland JanvierRoland JANVIER, chercheur en sciences sociales, titulaire d’un doctorat en sciences de l’information et de la communication.
Je suis actuellement président du Comité Régional du Travail Social de Bretagne.
Repolitiser l'action sociale

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