Décider collectivement par consentement – Troisième partie : Les élections sans candidats en huit verbes d’action

par | Mar 25, 2021 | Articles, Economie sociale et solidaire, Organisation, Pédagogie, Education | 0 commentaires

Introduction : éloge des compétences

L’élection sans candidat est un élément phare de la sociocratie : « Le choix et l’affectation des personnes dans une fonction ou la délégation d’une tâche à un membre du cercle s’effectue par un processus de vote sans candidat déclaré. Chaque membre du cercle propose la personne qu’il estime la plus adaptée à la fonction, puis justifie son choix. Le facilitateur du cercle propose alors un candidat qui est accepté ou non par consentement .[1]»

Cet article tente de montrer en quoi cette méthode de distribution des fonctions dans un collectif est une forme de régulation particulièrement vertueuse et d’une grande efficacité.

 

1.   S’engager

« Lier (sa conscience) par une promesse, une convention ou une obligation librement consentie, en vue d’une action précise ou d’une situation donnée.[2] »

Vs. Reporter sa responsabilité sur autrui

Le préalable incontournable à un processus d’élection sans candidat est l’engagement des membres du collectif concerné. Au risque d’être caricatural, nous pourrions dire que l’élection classique, sur candidatures individuelles, est une démarche de « dégagement » alors que l’élection sans candidat est une démarche « d’engagement ». En effet, quand le groupe se réunit pour une procédure électorale, chacun se repose sur le fait qu’il y a des candidats. Soit la personne est candidate, dans ce cas elle s’engage mais cet engagement est d’ordre individuel et dédouane les autres. Soit elle n’est pas candidate, dans ce cas, elle est « dégagée » de la responsabilité qu’assumera la personne qui sera élue (à sa place).

Avec l’élection sans candidat, la démarche est radicalement différente. Chaque membre du collectif entre dans le processus de désignation en se disant, vu qu’il n’y a pas de transfert vers des candidats déclarés, que ce pourrait être lui-même qui se trouve désigné au terme des élections. L’entrée dans le processus est donc très différente : elle mobilise l’engagement de chacun sans distinction.

De plus, le fait que personne ne puisse s’octroyer le droit de s’auto-désigner comme étant légitime à prétendre aux suffrages des autres est d’une grande efficience. Chacun se dit, même s’il n’est pas désigné, qu’il porte la responsabilité d’engager un tiers à assumer la mission envisagée. Le principe de délégation n’est pas un « chèque en blanc » ou une mise à distance de la mission en la confiant à un autre. Chacun se trouve être directement à la source de la délégation puisqu’il est appelé à désigner celui qui, selon lui, est le plus apte à bien faire.

Préalable 1 : L’appartenance au groupe doit être sans équivoque quant à l’engagement qu’elle représente.

2.   Associer

« Former avec quelqu’un une communauté d’intérêts, de sentiments, de travail. »

Vs. Ne pas se sentir lié par le contrat collectif (explicite ou implicite)

Dans les systèmes démocratiques par délégation, l’élection sur candidatures est un transfert de responsabilité du groupe vers les candidats et, in fine, vers l’élu. L’élection sans candidat ne comporte pas ce transfert car elle associe tous les membres du groupe selon plusieurs principes :

  • Le fait que n’importe lequel des membres peut être choisi implique un principe de parité entre tous.
  • Le fait que chacun choisisse la personne par lui-même – et non du fait de l’auto-proclamation d’un tiers – est un principe essentiel d’autonomie du choix et donc de responsabilisation.
  • Le fait que c’est le consentement de tous qui légitime le choix pose le principe de responsabilité collective qui, de ce fait, se trouve maintenu durant l’exercice du mandat confié.

Accepter ainsi le pouvoir du collectif est une forme d’association de tous ses membres congruente des valeurs et des principes de l’association.

Préalable 2 : le statut « d’électeur », c’est-à-dire le droit de désigner une personne doit être clair.

3.   Qualifier

« Marquer de telle qualité, caractériser en attribuant une qualité, une appellation, un titre. »

Vs. Se référer à des références standards, externes ou, pire, des évidences, des clichés.

L’élection sans candidat est un processus de dépersonnalisation des fonctions. Plutôt que d’associer les fonctions à une personne, manière de faire qui alimente le mythe de « l’homme providentiel », il s’agit d’associer la fonction à des compétences. La définition de ces compétences n’est pas donnée ex nihilo mais élaborée par le groupe. Cela a des conséquences importantes. Par exemple, nous pouvons penser que les compétences nécessaires pour assurer la fonction de trésorier sont évidentes (comptabilité, gestion, droit…). Une telle vision est réductrice. Le groupe, en définissant lui-même les compétences requises, saura, mieux que quiconque, contextualiser les aptitudes nécessaires pour mener à bien une telle mission (par exemple une habileté relationnelle pour le recouvrement des cotisations, ou une connaissance des administrations pour les demandes de subvention…).

Cette manière de procéder met en lumière que les compétences ne sont pas en surplomb du groupe – vision technocratique des fonctionnements collectifs – mais immanentes à lui, autrement dit, qu’elles lui appartiennent, ce qui permet des ajustements fins. Ce qui a des conséquences majeures sur la gouvernance du collectif.

Phase 1 : Le groupe définit les compétences requises pour assumer la fonction faisant l’objet de l’élection.

4.   Choisir

« Prendre quelqu’un ou quelque chose de préférence à un(e) autre en raison de ses qualités, de ses mérites, ou de l’estime qu’on en a. »

Vs. Faire comme d’habitude

Il s’agit ensuite de recueillir les choix personnels de membres du groupe : chacun désigne la personne qui, selon lui, est la plus apte à assumer la fonction. Il ne s’agit pas d’un choix à l’aveugle puisque c’est la mise en lien des compétences requises avec celles qui sont repérées parmi les membres du groupe. Cette objectivation relative du choix met un peu à distance les incidences relationnelles, les ressentis interpersonnels, les affinités ou les animosités. Par ce procédé, il y a plus de chance que la personne choisie soit mieux apte à remplir sa mission.

Phase 1bis : Dans un groupe où les membres ne se connaissent pas très bien, il peut être souhaitable, avant le choix, de demander à chacun de se présenter et de lister ses compétences.

 

Phase 2 : Un tour de table (ou vote à bulletin secret, ou post-it) permet à chacun de dire sur qui se porte son choix.

Phase 2bis : Plusieurs tours peuvent être nécessaires pour laisser converger les choix jusqu’à accord de tous sur un nom.

5.   Respecter

« Avoir de la considération pour une valeur intellectuelle, un idéal. »

Vs. Ne pas tenir compte des personnes et de leurs désirs

Un principe prévaut dans le processus d’élection sans candidat, c’est la possibilité donnée à chaque personne non-candidate désignée par le groupe de refuser. L’idée sous-jacente est de respecter chacun dans la démarche. Personne ne peut se trouver contraint de faire quelque chose qu’il ne voudrait pas. Le collectif est un espace de liberté pour chacun de ses membres et doit le rester.

Ce refus touche à l’intimité de la personne, il n’a pas forcément à être justifié devant le groupe.

Phase 3 : L’avis des personnes désignées est recueilli.

6.   Ajuster

« Accommoder toutes les parties, tous les détails d’une œuvre… Arranger, disposer avec soin. »

Vs. Tenter le passage en force, forcer le cours des choses

Un autre principe intervient alors, c’est la possibilité pour les membres du groupe de discuter les choix qui en émanent. Le processus peut en effet désigner des personnes qui ne seraient pas en adéquation avec l’objectif visé. Le droit de refus individuel peut corriger cela mais il est également enrichissant de confronter le choix à l’analyse collective.

Des objections peuvent donc se faire jour sur l’opportunité du choix de tel(le) ou tel(le) candidat(e). Elles sont formulées exclusivement en référence aux compétences identifiées par le groupe. C’est-à-dire qu’elles ne portent pas sur les personnes mais sur leur adéquation aux compétences requises.

Cette phase d’ajustement est déterminante. Elle permet au groupe de négocier la stratégie de désignation. En effet, si telle personne refuse le poste ou fait l’objet d’une objection, ceux qui l’ont désignée peuvent alors reporter leur choix sur une autre. Des discussions s’engagent qui enrichissent les choix. La mise en débat est une plus-value, à condition qu’à aucun moment elle n’ait d’effet de disqualification des personnes.

Phase 4 : Les objections sur les personnes désignées sont recueillies et mises en débat.

 

Phase 5 : Par consentement (c’est-à-dire si plus personne n’a d’objection), la personne est désignée.

7.   Légitimer

« Faire admettre, reconnaître (quelque chose) comme légitime, justifiable par l’équité, le droit naturel, la raison, un motif supérieur. »

Vs. Disqualifier

La légitimité de la personne choisie est très différente d’une élection classique. En effet, du simple fait qu’elle n’était pas candidate au départ du processus, elle ne tire pas sa légitimité d’elle-même mais du choix du groupe. Cela change tout.

D’abord aux propres yeux de la personne concernée. Il est même possible qu’avant d’être désignée par le groupe, elle ne se sentait pas légitime pour assurer la fonction. C’est là un point d’intérêt majeur de l’élection sans candidat. La désignation par consentement du groupe fait émerger des personnes qui ne se seraient jamais désignées par elles-mêmes. Le groupe révèle ses talents cachés parmi ses membres. Cette méthode a notamment un effet positif en ce qui concerne les genres. Souvent, les femmes se sentent « naturellement » moins compétentes que les hommes pour assumer des fonctions visibles ou d’exception. L’élection sans candidat – que l’on peut associer à un principe de parité femme-homme – valorise indifféremment ses membres quel que soit leur sexe.

8.   Responsabiliser

« Rendre responsable. Donner conscience à autrui de sa responsabilité. »

Vs. Se décharger sur l’autre

Nous l’avons déjà dit mais il convient d’insister sur ce point. Avec l’élection sans candidat, le processus ne s’arrête pas une fois la personne désignée. La désignation engageant la responsabilité de chaque membre du groupe, chacun se sent ensuite un peu plus responsable – au moins idéalement – de la manière dont la personne désignée assurera la charge qui lui est confiée. Cela ne peut pas tout fait être son seul problème, il convient de la soutenir, de l’accompagner, d’autant plus qu’elle ne s’y projetait pas.

Conclusion

L’élection sans candidat est une déclinaison formalisée du principe de décision par consentement. Elle instaure des méthodes qui sont à contre-courant des représentations classiques et des formes d’exercice de la démocratie auxquelles notre démocratie républicaine, fondée trop centralement sur le rythme électoral, nous a paresseusement habitués.

En brisant la logique de l’auto-désignation des candidats par eux-mêmes ou par leur seul groupe d’intérêt, l’élection sans candidat bouleverse l’échelle de valeurs. Elle met au premier plan les compétences requises, qui restent toujours subordonnées à l’élaboration collective de la communauté concernée. Ensuite, elle ne personnalise pas la manière d’occuper les fonctions électives en priorisant l’adéquation des compétences personnelles avec les compétences définies. Enfin, et peut être surtout, elle ne décharge pas les électeurs par une sorte de transfert de responsabilité via le système représentatif. En effet, l’élection sans candidat, comme tous les processus décisionnels par consentement, postule la permanence des responsabilités individuelles et collectives dans la maîtrise du destin collectif.

[1] Article « Sociocratie » de Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Sociocratie#cite_ref-19.

[2] Toutes les définitions sont extraites du cnrtl : https://www.cnrtl.fr/definition/

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Présentation de l’auteur

Roland JanvierRoland JANVIER, chercheur en sciences sociales, titulaire d’un doctorat en sciences de l’information et de la communication.
Je suis actuellement président du Comité Régional du Travail Social de Bretagne.
Repolitiser l'action sociale

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