Quels rapports d’usage dans une société numérique ?

par | Oct 4, 2025 | Droit des usagers | 0 commentaires

Introduction :

L’histoire de l’humanisation de l’être humain est indissociable des techniques. Celui-ci a toujours eu besoin de prothèses techniques pour progresser dans la maîtrise de son environnement.

L’Intelligence Artificielle peut s’interpréter comme la dernière prothèse inventée pour pallier les limites intellectuelles de l’humanité.

Au-delà des questions que pose l’IA dans sa capacité, réelle ou non, à se passer de l’humain, notre propos s’intéressera aux rapports d’usage que génère ce nouvel algorithme dans le travail social.

Autrement dit, qu’est-ce que cet usage du numérique transforme dans la relation entre intervenants et usagers ?

  1. L’IA : une prothèse ?

Les outils techniques ont toujours eu pour fonction de suppléer des insuffisances humaines. Le javelot a permis d’atteindre des proies en mouvement parce que l’être humain ne courrais pas assez vite, la charrette équipée de roues a permis de transporter des charges car le dos de l’homme ne suffisait pas, l’ordinateur a permis de réaliser des calculs plus rapidement parce que la complexification du monde ne permet plus à l’être humain de les réaliser seul. Tous ces outils sont des prothèses comme le fauteuil roulant ou les prothèses auditives.

L’IA peut, sous certaines conditions et précautions, s’analyser comme une prothèse. Elle est chargée de compenser les limites de l’intelligence humaine. Aucun cerveau humain n’est apte à stocker cette quantité phénoménale de données et l’ensemble des connaissances produites.

Mais l’IA n’est pas simplement un algorithme. C’est un algorithme « intelligent ». Intelligent ne veut pas dire ici qu’elle est douée d’une pensée autonome – l’IA ne fait que traiter les informations qu’on lui donne sans en inventer de nouvelles – mais qu’elle est capable de réaliser des combinaisons de données qui dépassent les capacités d’association des meilleurs cerveaux humains.

La question à se poser n’est donc pas, selon moi, de savoir si l’IA va remplacer l’humain mais de savoir quel usage les humains vont-ils faire de cette puissante machine à traiter des données. L’outil n’est jamais neutre car il dépend de l’usage qui en est fait.

  1. L’IA : un dispositif sociotechnique ?

Or, la création des outils techniques et les usages qui en sont faits sont totalement insérés dans des rapports sociaux. Ce qui est particulier avec l’IA, c’est sa courbe d’évolution technologique – jamais connue dans l’histoire des techniques – et la vitesse de son inscription dans les pratiques.

Pour analyser le rapport d’usage généré par l’IA, il faut revenir, avec André Leroi-Gourhan (célèbre ethnologue, archéologue et préhistorien français), aux conditions d’émergence d’un objet technique. Celui-ci résulte de la combinaison de trois dimensions :

  • Tout d’abord, l’innovation doit être envisageable, c’est-à-dire prendre place dans les représentations sociales.
  • Ensuite, elle doit être techniquement réalisable.
  • Enfin, elle doit répondre à un besoin.

Cette triade idée, moyen, besoin n’a rien de naturel et résulte d’une construction sociale. Elle se construit au cœur des rapports sociaux et est influencée par les rapports de forces en présence. L’IA n’échappe donc pas à cette logique.

  • Elle est culturellement acceptée : les mythes autour de l’homme augmenté (Cf. le film Avatar) ou d’un super ordinateur régissant le monde (Cf. le film Matrix) ont rendu envisageable de confier nos décisions à un calculateur.
  • Elle est techniquement réalisable : la puissance de calcul des microprocesseurs s’est accrue dans des proportions inédites ces dernières décennies.
  • Elle répond à un besoin : la complexité du monde, nous l’avons dit, ne permet plus au cerveau humain de prendre en compte tous les paramètres ce qu’est sensée faire l’IA.

L’IA s’inscrit donc pleinement dans notre monde actuel. Elle est totalement insérée dans les dimensions sociales, culturelles, techniques, politiques et économiques de la société.

Nous pouvons dire qu’elle participe pleinement à ce que Miguel Benasayag nomme « la dictature de l’algorithme »[1], elle contribue à renforcer l’hégémonie des GAFAM[2] sur le marché.

Cela étant posé, c’est bien avec l’IA, ce nouveau mode de traitement des données et de notre rapport au monde que nous devons composer. L’IA, comme dispositif sociotechnique, introduit de nouveaux usages sociaux.

  1. Un rapport d’usage inédit

En matière d’usage, nous pouvons dire que l’IA est une éponge à usages. C’est-à-dire qu’elle intègre les connaissances, idées, convictions, idéologies, mondes vécus, représentations, croyances, etc. qui constituent les savoirs de notre monde – du moins ceux qui sont stockés dans le « big data ». Elle les absorbe et les restitue selon des codes et des normes imposés par l’état des rapports de forces sociaux et culturels évoqués ci-dessus. Mais cette restitution s’adresse à des personnes. C’est à cela que nous devons nous intéresser : qu’est-ce que les gens font de l’IA, quel usage en font-ils ?

Pour avancer sur cette question, il faut préciser comment un rapport d’usage se met en jeu autour d’un dispositif technique. Il résulte de plusieurs facteurs :

  • L’intention du concepteur à l’origine de l’invention.
    • Les premiers téléphones portables ont été créés pour permettre aux cadres supérieurs, du fait de leurs nombreux déplacements, de rester en contact avec leur siège.
  • Les limites techniques inhérentes à l’objet.
    • La mobilité de ces téléphones supposait une batterie légère ce qui limite l’autonomie de l’appareil.
  • Les contraintes techniques ajoutées par l’ingénieur pour prévenir les détournements d’usage.
    • Les marques ont imposé des chargeurs spécifiques propre à leur marque pour contrôler le marché.
  • Les stratégies développées par les usagers pour que l’objet réponde à leurs besoins.
    • Progressivement, l’utilisation des smartphones s’est démocratisée et les plus jeunes les ont utilisés à d’autres fins que téléphoner vocalement (textos, sms…).
  • La manière dont l’objet, ses contraintes et les usages qu’il génère s’inscrivent dans un contexte social et culturel.
    • Le smartphone est devenu un appendice humain qui supporte de multiples fonctions devenues indispensables à chacun.

Le rapport d’usage n’est pas une simple utilisation. Par utilisation nous entendons la manipulation d’un dispositif qui ne laisse aucune marge de manœuvre à l’utilisateur (par exemple, un interrupteur ne peut être qu’ouvert ou fermé). Par usage, nous entendons la possibilité de détourner l’utilisation au profit des intérêts de l’usager. L’usage suppose une stratégie, c’est-à-dire la recherche d’une pratique qui profite à celui qui manipule le dispositif technique.

Avec l’IA, ce rapport d’usage se trouve particulièrement complexifié car d’une part, il y a un usager qui développe ses propres stratégies pour tirer le meilleur parti de l’outil. D’autre part, il y a l’algorithme qui est capable de s’ajuster astucieusement à l’interaction qui se crée entre la machine et l’humain.

Nous sommes en présence d’un rapport d’usage « ductile[3] ».

  1. Une transformation de la relation entre intervenants et usagers

Pour analyser ce que transforme, pourra transformer ou pourrait transformer l’IA dans la relation entre intervenants et usagers dans le travail social, voici quatre plans d’observation possibles :

  • L’IA comme médiatisation dans l’accompagnement des publics.
  • L’IA comme moyen d’informatisation du traitement des données.
  • L’IA comme médiation dans la relation.
  • L’IA comme support d’information du travail social.
    • L’IA comme médiatisation de l’accompagnement

Par fonction de médiatisation, nous entendons les activités qui utilisent l’IA pour agir et communiquer en direction des bénéficiaires du travail social. L’IA est ici un support à l’accompagnement.

Sur ce point, elle représente une montée en gamme des outils numériques. La capacité à réaliser des contenus pour l’Internet (sites, blogs, chats…) se trouve facilitée et décuplée par la puissance générative de l’IA. Les codes de communication peuvent ainsi être adaptés plus finement aux publics, par exemple, la production de documents numériques en Facile à Lire et à Comprendre (FALC) à destination de publics entravés dans leurs capacités à communiquer ou limités dans leur perception de messages compliqués. Les communications par voie numérique (réseaux sociaux, plates-formes et boucles numériques privées, mails…) sont augmentées tant en qualité qu’en quantité. Ces mutations présentent des opportunités nouvelles d’usage.

Ce que cela change pour les professionnels :

  • Création de nouvelles « proximités » dans l’échange (par exemple, la fugue d’un jeune peut être suivie grâce aux moyens de communication qui sont préservés)
    • Mais risque de transformer la relation en un « méga chatbot» où la notion même d’entretien (les geeks parlent de conversation) perd de sa force singulière.

Ce que cela change pour les usagers :

  • Transformation de la notion de « démarche » (Cf. difficulté à s’adresser à un guichet de service social) en rendant disponible une masse de ressources dans leur vie quotidienne, à portée d’un simple scroll sur un portable.
    • Mais risque de réduire le recours à un accompagnement social en une sorte de requête sur « le bon coin ».

Ce que cela change pour les organisations du travail social :

  • Un formidable amplificateur des moyens de toucher des publics et des méthodes pour assurer leur efficacité (Cf. les publics très éloignés des institutions, lutte contre le non-recours…)
    • Mais risque de se satisfaire de la mise en œuvre d’une panoplie standardisée d’outils qui exposerait l’offre d’intervention sans se soucier de leur efficience dans les situations particulières (Cf. capacité à rejoindre des personnes concrètes).

Face à ces risques qui reviennent à faire perdre au travail social sa capacité à prendre en compte les singularités de chaque situation, il n’est pas question de s’opposer à l’IA mais de faire avec. L’enjeu est donc de tirer profit de tout le potentiel de l’IA pour s’ajuster finement à toutes les situations communicationnelles et, dans le même mouvement, de ne pas laisser l’IA se substituer à la capacité de l’être humain et de ses institutions à s’inscrire dans une relation qui fait sens.

  • L’IA comme moyen d’informatisation du traitement des données

Par informatisation, nous entendons une modalité de traitement des informations requises dans et par l’intervention sociale. Ce sont les outils numériques dont disposent les professionnels du travail social pour gérer, mettre en forme, stocker, partager ou transmettre les informations concernant les personnes accompagnées. L’irruption du numérique dans le travail social n’est pas récente, ce qui est nouveau, c’est la plus-value qu’apporte l’IA dans le traitement des données.

Ce que cela change pour les professionnels :

  • Une ressource permettant de combler des insuffisances ou des lacunes. Par exemple : manque de temps pour tenir à jour les dossiers, gain de productivité d’une gestion automatisée des données, lacunes de certains professionnels en matière de rédaction de dossiers… L’IA est en mesure de produire bien plus rapidement et avec un niveau de qualité souvent supérieur un rapport au magistrat à l’origine de la mesure ou aux responsables de l’administration ayant confié la mission.
    • Mais risque de voir les travailleurs sociaux déléguer intégralement la gestion documentaire à la machine. Or, la manière de construire, organiser, gérer dans la durée et opérer des choix de contenu des traces produites est une fonction centrale de l’accompagnement social.

Ce que cela change pour les usagers :

  • Une prothèse personnelle : assistance à la rédaction de courriers, collecte et classement d’informations, orientation dans les démarches à accomplir. Pour les bénéficiaires, l’IA peut jouer, selon les cas, le rôle d’écrivain public, d’assistant juridique, de défenseur, de conseiller d’orientation, de confident, etc.
    • Mais risque de laisser la machine se supplanter à la relation humaine. Un algorithme peut aider, assister, soutenir, pas rassurer, réconforter, apaiser.

Ce que cela change pour les organisations du travail social :

  • Une transformation majeure des organisations de travail (plus encore que le fut la révolution numérique). Non seulement les métiers se trouvent et se trouveront modifiés par le recours à l’IA mais les modalités de relations fonctionnelles, hiérarchiques et techniques sont radicalement transformées. Nous assistons à l’avènement d’organisations réticulaires, horizontalisées, plus sensibles aux flux informationnels qui les traversent qu’à l’aspect institué de leur structure.
    • Mais risque que l’arithmétique de l’IA estompe la dimension institutionnelle de l’organisation (cadre du vivre ensemble) qui doit faire sens par ses actes, le sens qu’elle leur donne et non seulement par la qualité de son agencement.

Face à ces risques de l’informatisation des pratiques augmentées par l’IA de créer des organisations « big-brother », il nous faut défendre la capacité de discernement des acteurs du travail social. C’est cette capacité de discernement qui caractérise l’intelligence humaine.

  • L’IA comme médiation dans la relation.

L’IA monte en puissance alors que de nombreux observateurs s’accordent pour dire que la fracture numérique est loin d’être résorbée. Cependant, elle modifie sensiblement la place et le rôle des travailleurs sociaux qui, se trouvant investis d’une fonction de médiation pour permettre aux publics vulnérables d’accéder aux ressources, peuvent voir l’IA comme une opportunité. L’IA joue, par elle-même, une fonction de médiation puisqu’elle est en mesure de rendre accessible n’importe quel contenu disponible dans le big data.

Ce que cela change pour les professionnels :

  • L’IA n’a plus besoin de médiateurs, elle est un interlocuteur disponible et directement accessible. Deux scénarios sont alors possibles dans cette configuration. Soit l’IA remplace purement et simplement la médiation des professionnels, soit les travailleurs sociaux s’affirment comme interlocuteur entre l’usager et le dispositif d’intervention sociale.
    • Dans le premier cas : risque de voir l’IA s’autonomiser dans des prises de décisions qui échapperaient aux personnes.
    • Dans le second cas : les professionnels seraient de simples facilitateurs qui mettent en présence les bénéficiaires et le dispositif technique. Dans ce changement de position, l’intervenant passe du rôle d’expert disposant des ressources à celui d’intermédiaire d’une mise en lien avec un système de ressources qui ne dépend plus de lui ;
    • Dans les deux cas : l’expertise est passée de l’homme à la machine. C’est là un risque de déshumanisation des contenus de l’intervention sociale.

Ce que cela change pour les usagers :

  • L’usager peut faire l’impasse sur la relation humaine, contourner les professionnels pour accéder directement aux réponses qu’il recherche, aux solutions qu’il attend.
    • Mais risque d’instrumentalisation du travail social qui deviendrait une simple base de données qui ne présupposerait plus un processus d’élaboration de la demande, d’analyse de la situation et de négociation d’un plan d’action.

Ce que cela change pour l’organisation :

  • Accroissement du niveau qualitatif et quantitatif des informations traitées par l’IA et externalisation des items à traiter. Par exemple : Transformation du processus de construction d’un diagnostic dans les situations de troubles autistiques : passage d’une démarche longue, délicate et interdisciplinaire, portée par une organisation (recherche d’un consensus thérapeutique, soutien aux parents, accompagnement concret du jeune…) à une analyse objective de la situation et largement mieux documentée que ce que pourrait faire une équipe professionnelle.
    • Mais risque de voir les organisations sous-traiter leur cœur de métier et réduire leur rôle à la simple application d’un protocole déterminé en dehors de la dynamique de projet du collectif de professionnels et d’usagers.

Face à ces risques de voir l’IA se substituer à des compétences jusque-là portées par des humains, il semble nécessaire de réaffirmer l’importance de prendre en compte la dimension sensible de toute vie humaine. Ce faisant, c’est bien de la capacité à éprouver des sentiments, des affects, qu’il s’agit. Maintenir la dimension humaine de la relation, soutenir le fait qu’il s’agit toujours d’un rapport entre personnes physiques, défendre l’idée que l’analyse des situations et la construction de projets d’action supposent une approche pluridisciplinaire permettent de tirer tout le bénéfice de l’IA sans déshumaniser le travail.

  • L’IA comme support d’information du travail social.

La fonction d’information concerne les données mises à la disposition des professionnels et des usagers. Ces données représentent l’ensemble des ressources exploitables dans l’accompagnement social. La fonction d’information se distingue de la fonction de médiatisation. L’information s’intéresse au stock passif de données disponibles, la médiatisation à leur communication active vers des publics.

Ce que cela change pour les travailleurs sociaux :

  • Avec l’IA, la fonction d’information ne représente plus seulement une mise à disposition documentaire mais une exploitation interactive des ressources par ajustement fin aux situations singulières.
    • Mais risque que l’artificialité de cette intelligence dévitalise l’atout informationnel. Or, le traitement de l’information constitue essentiellement un enjeu de sélection. C’est par le tri que l’exploitation de l’information est rendue possible.

Ce que cela change pour les usagers :

  • Possibilité pour tous d’accéder et de traiter, de combiner, d’associer tout une série de données. L’IA permet à l’usager d’être tout autant expert du travail social que le plus diplômé des intervenants.
    • Mais risque d’introduire une confusion des places et des rôles. Non pas sous l’angle de l’abolition d’une hiérarchie des fonctions – en ce sens l’IA est un atout positif – mais sous l’angle de la suppression d’un travail d’alliance reposant sur une altérité relationnelle qui fait que la recherche de solution est toujours un travail d’équipe mené par des acteurs différenciés, leur différence constituant une richesse pour le traitement des items. La figure dystopique de l’usager du futur serait un individu enfermé dans le huis-clos d’une consultation solitaire de son ordinateur hyper connecté…[4].

Ce que cela change pour l’organisation de travail social :

  • La fonction première de l’organisation est « d’organiser » de l’information par des processus de travail, une répartition des rôles et la qualification de supports communicationnels.
    • Mais l’IA, si elle permet d’accroître ces missions informationnelles, présente le risque de se supplanter totalement aux missions organisationnelles, d’être elle-même, et virtuellement, l’organisation, de ne plus avoir besoin d’autres supports que les connexions numériques.

Finalement, les risques résident principalement dans l’absence de choix des informations. L’IA ne sélectionne pas, elle combine des données en utilisant des moyennes arithmétiques selon les usages les plus courants constatés chez les utilisateurs des bases de données. C’est notamment cette méthode de calcul qui explique que l’IA soit capable de diffuser comme des vérités des données fausses, des fake-news. Le choix des informations à traiter est une affaire collective reposant sur l’intelligence croisée des acteurs qui agissent leurs capacités de discernement.

Conclusion

Ayant posé l’IA comme une nouvelle prothèse dans la panoplie des outils techniques qui ont soutenu le long processus d’humanisation de l’être humain, nous avons identifié que la manière dont elle augmente les capacités cognitives et productives est marquée par sa capacité inédite à s’adapter à la singularité des situations et de ceux qui la sollicitent. Ce faisant, elle introduit dans les pratiques d’accompagnement social un rapport d’usage nouveau. Usage qui modifie le contexte de l’intervention et qui modifie également la place et le rôle des acteurs de celle-ci.

Un enjeu est apparu lié à ce transfert de la rationalité de l’être humain à la machine : exploiter les potentialités de l’outil sans se faire enfermer par sa logique et ses limites, de ne pas laisser faire le remplacement des savoirs chauds (vivants) par des savoirs froids (algorithmiques).

Un premier élément consiste à éviter cette fausse question de comment dominer l’IA : Il s’agit plutôt de négocier en permanence avec l’outil, de laisser du jeu dans l’interaction. Nous devons tous apprendre à l’utiliser pour qu’elle contribue à la réalisation de nos projets d’accompagnement dans une dynamique du care. Nous postulons que l’IA peut nous aider à prendre encore mieux soin des personnes vulnérables.

Un deuxième aspect, évoqué plusieurs fois, est de ne pas laisser la logique algorithmique éradiquer la dimension sensible de toute vie humaine. Sur ce point, l’IA ne doit pas être perçue comme un empêchement mais comme une béquille qui reste limitée à un aspect de ses fonctionnalités sans la laisser imposer ses protocoles analytiques pour laisser place au vivant, à la poésie, à l’esthétique, à l’éthique, à l’imagination, etc.

Une troisième dimension consiste à ne pas ignorer que l’IA est pleinement inscrite dans des rapports sociaux et que selon l’usage que l’on en fait, elle peut nous enfermer dans les impasses des rapports de pouvoir (du travailleur social sur l’usager). Nous devons donc inventer des usages de l’IA qui œuvrent effectivement à la promotion du pouvoir d’agir des personnes, usagers comme professionnels.

L’IA va révolutionner les positionnements d’acteurs. Selon le rapport d’usage que nous instaurerons avec elle, elle renforcera la rationalité instrumentale et réductrice de l’intervention sociale ou elle soutiendra la promotion des capacités d’agir des parties-prenantes, usagers et professionnels.

[1] Benasayag M. (2019), La tyrannie des algorithmes, Paris, Textuel.

[2] Acronyme des géants du Web, également dénommés les  « tech-titans »que sont Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft : les cinq grandes firmes américaines qui dominent le marché du numérique.

[3] « Qui se laisse étirer, battre, travailler sans se rompre. Acier ductile. (Quasi-) synon. malléable, plastique. » (CNRTL)

[4] Nous pourrions atteindre un stade critique avec des réponses de l’IA du type : « Votre demande est incompréhensible, je ne serai pas en mesure de vous aider et de vous faire bénéficier des aides auxquelles vous avez normalement le droit ».

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Présentation de l’auteur

Roland JanvierRoland JANVIER, chercheur en sciences sociales, titulaire d’un doctorat en sciences de l’information et de la communication.
Repolitiser l'action sociale

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