Entre histoire et perspective, le positionnement des grandes familles associatives dans le bouleversement du paysage contemporain de l’action sociale

par | Oct 23, 2009 | Economie sociale et solidaire | 0 commentaires

Introduction

L’histoire est toujours bousculée par l’actualité, les trajectoires historiques sont toujours détournées par les évènements qui surviennent. C’est donc tout  naturellement que l’histoire des associations d’action sociale se trouve, aujourd’hui, interrogée par le bouleversement du paysage contemporain de l’action sociale.

Pour tenter de mesurer l’impact de ces bouleversements sur les associations, il faut d’abord repérer les lignées historiques, les principales filiations qui constituent quelques grandes familles d’association.

Sans prétendre être exhaustif et exact, et uniquement à titre d’hypothèse de travail, nous proposons, ci-après, une typologie regroupant les associations en quatre grandes familles :

  • Les associations qui trouvent leur origine dans la mouvance laïque et sous l’influence des pionniers qui ont créé des établissements dans la ligne des réseaux régionaux des « Sauvegardes » (Gardet, Vilbrod, 2007) ;
  • Les associations nées sous l’impulsion des parents d’enfants handicapés (qui se sont organisés pour créer les établissements spécialisés dont leurs enfants avaient besoin), dites « associations de parents » ;
  • Les associations qui sont issues des œuvres catholiques portées par les grands ordres religieux que nous nommerons la famille des « associations d’origine confessionnelle » ;
  • Les associations issues de la mouvance de l’éducation populaire qui ont suscité puis géré des établissements et des services d’action sociale.

Ces quatre familles peuvent sommairement regrouper l’essentiel des associations d’action sociale existantes aujourd’hui. Bien sûr, ces « idéal-types » ne sont qu’une représentation schématique d’une réalité beaucoup plus complexe sur le terrain. Il faudrait sans doute plus de finesse pour situer les associations selon des critères plus adaptés (par exemple distinguer les établissements issus d’ordres religieux orientés vers l’enseignement de celles qui viennent du sanitaire, etc.), pour détailler cette typologie par des sous-ensembles. Le but n’est pas de construire une typologie exhaustive mais de dégager des tendances qui favorisent un travail d’analyse.

Pour chacune de ces quatre familles, nous déclinerons quelques grandes caractéristiques :

  • Le modèle de représentation : il s’agira des traits caractéristiques des acteurs associatifs ;
  • Les logiques d’action : concerneront les modes d’intervention privilégiés par chaque tendance ;
  • Les membres : cette caractéristique s’attachera aux types sociaux des gestionnaires de ces associations ;
  • Les modes de gouvernance : qui décriront la manière dont est managée l’organisation ;
  • Les types d’organisation : nous nous intéresserons aux modèles organisationnels dominants pour chaque famille ;
  • Les modalités d’intervention : déclineront les manières dont sont accompagnés les usagers.

Ces caractéristiques pourraient être complétées dans le cadre d’un travail plus approfondi. Par exemple, il conviendrait aussi d’étudier les modèles économiques qui structurent l’association, le type de rapport qui existe entre professionnels et usagers, les modèles de développement qu’implique chaque famille, etc.

Chacun, rapportant ces catégories d’analyse aux associations qu’il connaît, constatera que ces caractéristiques traversent la classification idéal-typique des quatre familles décrites. Nous sommes aujourd’hui éloignés des modèles originels et assistons à une hybridation des formes associatives. Chacun peut donc repérer les caractéristiques qui se dégagent de son observation et se « promener » ainsi d’une famille à une autre pour esquisser une figure plus proche de la réalité.

Les catégories mobilisées dans les lignes qui suivent empruntent les travaux de différents chercheurs en les combinant ou en les complétant. Nous avons pris, volontairement, certaines libertés pour adapter leurs critères d’analyse au présent projet visant à élaborer des points de repères[1].

Après avoir dressé une typologie déclinant les caractéristiques par famille, nous avons confronté ces repères aux tendances qui émergent actuellement de la commande publique adressée aux associations d’action sociale dans le but de prendre la mesure des bouleversements du paysage contemporain de l’action sociale.

La commande est déclinée selon les mêmes caractéristiques que celles qui identifient les familles de la typologie pour permettre un rapprochement qui met en valeur les écarts, les chocs culturels, le changement de paradigme qui s’imposent désormais à chacune des associations, quelle que soit sa filiation historique, mais de manière spécifique selon ces filiations.

Les « Sauvegardes » 

Issues d’une relation de grande proximité avec les pouvoirs publics (essentiellement les DDASS et la justice), basées sur un fonctionnement notabiliaire, les « Sauvegardes » ont maillé le territoire national avec des réseaux puissants (les ARSEA).

Le modèle de la militance professionnelle

Dès le départ, les organisations de type « Sauvegardes » ont professionnalisé leurs interventions. Elles ont d’ailleurs été des pionnières en matière de qualification, contribuant largement à la construction des diplômes du travail social (par exemple, ce sont souvent des ARSEA qui ont créé les premières écoles d’éducateurs spécialisés).

L’espace socio-politique y est articulé de manière originale avec l’espace socio-technique (Sainsaulieu) : une sorte de pacte de non agression… Ce qui a eut pour effet de reléguer les gestionnaires à la périphérie des espaces d’intervention, leur rôle se limitant souvent à la gestion des comptes annuels.

Les professionnels, sous la houlette de directions « musclées » (tant au plan technique que stratégique) maîtrisent les modalités d’intervention et les confisquent, en amont aux administrateurs, en aval aux usagers.

Une logique d’action publique

Les associations de type « Sauvegardes » ont été créées pour accompagner et mettre en œuvre les politiques publiques. Les magistrats ou hauts fonctionnaires qui les ont fait naître souhaitaient plutôt améliorer les interventions définies par les pouvoirs publics (par exemple : assurer la surveillance des enfants placés chez des nourrices) que répondre à des besoins non couverts (ce qui sera plutôt le cas de figure dans le champ du handicap).

Des membres de type « notable »

Les membres des instances gestionnaires de ces associations sont des notables, essentiellement des personnalités proches de la fonction publique (magistrats, inspecteurs de la population, responsables de l’Education Nationale…). C’est à la fois leur statut social et leur compétence technique qui motive leur engagement et/ou leur recrutement dans les associations de la famille des « Sauvegardes ».

Une gouvernance par la régulation professionnelle

Ce sont les régulations professionnelles qui marquent le type de gouvernance de ces associations. Les actions y sont fortement technicisées, les liens hiérarchiques déterminés par la hiérarchie des diplômes (Cf. dans certaines institutions la place hégémonique du psychiatre). Les relations fonctionnelles y sont relativement clivées, notamment entre les travailleurs sociaux et les fonctions support (entretien, cuisine, administration…).

Une organisation de type corporatiste

Conséquence logique de cette prégnance de la dimension professionnelle sur les modes de régulation, l’organisation est plutôt de type corporatiste. Nous constatons dans les associations de type « Sauvegardes » une tendance à « l’entre soi ».

Un corporatisme professionnel tend à se développer dans cette mouvance, notamment identifiable à partir des réseaux syndicaux, et particulièrement ceux qui gravitent autour de la convention collective du 15 mars 1966, symbole de ce modèle corporatiste.

Mode d’intervention : la « prise en charge »

L’hégémonie de l’expertise professionnelle conduit à un mode d’intervention du type « prise en charge » (Karsz, 2004). La prise en charge, se fonde sur une distinction fondamentale entre l’intervenant et l’usager : d’une part un expert, d’autre part un destinataire empêché d’être sujet. C’est la relation d’aide qui est la matrice de ce mode d’intervention auprès de « publics » (l’expression prend ici une saveur particulière qui se réfère au concept de dispositifs publics d’intervention sociale).

Les mouvements de parents 

Les associations relevant des mouvements de parents (type « papillons blancs ») ont joué un rôle déterminant, directement ou par capillarité, dans la structuration globale de l’intervention sociale en France.

Le modèle du bénévolat militant

A l’inverse de la famille des « Sauvegardes », leur création ne visait pas à compléter un dispositif d’intervention (la prise en charge des mineurs sous main de justice) mais à créer des réponses à des besoins non couverts (la (ré)éducation d’enfants handicapés). La forme de militance n’est donc pas tant orientée vers l’utilité sociale que vers la réponse à un besoin domestique.

Alors que le modèle du « notable » place le militant associatif à distance des problèmes à traiter, le modèle du « bénévole » introduit une certaine proximité avec les situations sociales visées par l’action associative (en l’occurrence des parents concernés, à travers leur enfant, par le problème du handicap).

Une logique d’action domestique

La logique d’action n’est donc pas prioritairement tournée vers les politiques publiques. Ce sont des problèmes familiaux qui sont visés par l’objet associatif.

Le projet ne relève pas d’un « contrôle » des publics – fondé sur les besoins supposés en toute extériorité des personnes – mais plutôt d’apporter une réponse au plus près des besoins directement exprimés par les intéressés. C’est là, au sein des questions domestiques, que prend source le projet d’intervention (ce qui n’exclura pas son extension à des dimensions sociétales, telle la revendication de la reconnaissance sociale de la personne handicapée).

Des membres de type militant

L’engagement militant ne repose donc pas tant sur une visibilité sociale (statut, reconnaissance…) que sur une volonté de se mettre au service d’une cause. Cause dans laquelle le militant est directement concerné (Cf. les liens affectifs des parents avec leurs enfants handicapés).

L’organisation technique ne peut donc pas échapper à cette posture militante qui surdétermine tous les autres aspects de l’organisation.

Une gouvernance par la régulation utilitariste

Le mode de gouvernance ne peut donc pas être d’ordre technique ou professionnel, il ne peut qu’être utile à quelque chose. Les dimensions techniques sont au service de cette utilité. C’est le projet, de nature domestique, qui guide l’action, non les politiques publiques, ni même les logiques corporatistes.

Une organisation de type familial

Le mode d’organisation dans la famille des « associations de parents » tend « naturellement » à reproduire les rôles paternels et maternels dans la structuration du système. Une autorité forte du président est fréquemment associée à une fonction maternante de l’association elle-même, notamment dans la relation qui se crée avec les personnes handicapées, souvent accompagnées « tout au long de leur vie »…

Mode d’intervention : l’éducation

Le mode d’intervention qui résulte de ces fondations historiques des associations de parents est basé sur une bienveillance attentive qui se résume bien dans une certaine acception du terme « éducation ».

Il s’agit de conduire les bénéficiaires « hors » du carcan de leur situation. Selon cet axe d’action, celui qui est chargé de « conduire hors de » est un modèle et un guide qui accompagne, quitte à infantiliser…

Les associations d’origine confessionnelle 

Les origines de l’action sociale se perdent dans les grandes œuvres charitables essentiellement issues du catholicisme. Quelques grands ordres religieux ont créé et géré des établissements importants (Bon Pasteurs, Filles de la Charité, Orphelins apprentis d’Auteuil…) qui ont marqué l’histoire de l’action sociale.

Le modèle caritatif

Le modèle de la charité comporte l’idée que le centre de gravité de l’action est en surplomb d’elle, invitant à s’ouvrir vers un ailleurs, une transcendance. La finalité de l’action n’est pas directement à chercher dans l’adaptation d’un dispositif public, ni dans la réponse à une problématique personnelle (ou familiale). Elle est, au travers des dispositifs sociaux et par la réponse aux besoins, de contribuer à un autre ordre des choses et du monde, un « au-delà » (Karsz, 2004).

Une logique d’action philanthropique

Il s’agit, dans les associations d’origine confessionnelle, de « prendre soin », avec toute la condescendance que peut contenir ce terme. L’idée est de « faire le bien » ou de « faire du bien » selon les cas. De telles expressions marquent d’importantes distinctions entre ceux qui portent ce dessein (figure du clerc) et ceux qui vont en bénéficier (figure du pauvre).

Des membres de type « religieux »

C’est le modèle du clerc qui domine (Dubet, 2002) en matière de positionnement professionnel. Il n’est pas prioritairement question de technicité, ni d’être directement concerné par les besoins à traiter, l’expertise vient plutôt d’une clairvoyance découlant de la transcendance des finalités. La posture est de type « religieux » en ce sens que c’est l’intervenant lui-même qui symbolise l’institution dans une relation totalement privilégiée (c’est-à-dire qui n’a besoin d’aucun autre support que l’intersubjectivité).

Une gouvernance par une régulation « sacrée »

Dans cette visée, les associations de la famille des associations d’origine confessionnelle n’ont besoin ni d’une gouvernance technique (régulation professionnelle), ni d’une gouvernance efficiente (régulation utilitariste). La régulation est plutôt de type transcendantal car le mouvement provient de l’extérieur de l’organisation selon une extériorité propre à une vision sacrée du monde. Dans cette configuration, c’est le projet, fortement référé à des « valeurs » (humanisme, respect de la dignité…), qui est le « méta organisateur » de l’institution.

Une organisation de type charismatique

L’organisation ne se centre pas d’abord sur une identité professionnelle, ni dans les modèles de la sphère privée, elle se déploie plutôt en référence à une personnalité qui sert de modèle, de référence, de guide. Il peut s’agir de la personne du fondateur ou simplement d’un « mythe fondateur » qui servira de leadership.

Mode d’intervention : le don

Le mode d’intervention est fortement inspiré par le concept de don, notion indissociable du modèle de la charité. L’intervention est une « offrande » faite à la personne reconnue dans sa dimension universelle.

L’échange est alors marqué par le jeu de la dette et du don (Mauss) et parfois connoté par des références morales qui induisaient autrefois des distinctions catégorielles (méritant, irrécupérable…).

L’éducation populaire 

Il ne faut pas omettre la mouvance de l’éducation populaire issue d’une part des « patronages laïcs » ou d’autre part du catholicisme social (mouvements d’action catholique) qui ont également donné lieu à des créations d’institutions d’action sociale (Chauvière, 2004).

Le modèle de la militance sociale

Faiblement professionnalisée au départ, cette famille d’association s’est plutôt construite « sur le tas », dans les quartiers, là où existaient des besoins (figure archétypale des centres sociaux).

Ce n’est donc pas une approche professionnelle, ni une approche familiale, encore moins une approche spirituelle qui fonde cette mouvance mais une problématique vécue et traitée au sein d’une communauté sociale.

Une logique d’action communautaire

Communautaire est à entendre ici au sens de « groupal ». La logique d’action ne repose pas sur une extériorité des initiateurs (les professionnels et les notables dans le modèle « Sauvegardes », les parents pour leur enfant handicapé dans le modèle « parents », les intervenants-clercs dans le modèle « associations d’origine confessionnelle ») mais au contraire selon une logique d’immersion : immersion sur le territoire, immersion dans les difficultés à traiter, etc.

Des membres de type animateurs

La figure de l’animateur domine fortement la mouvance de l’éducation populaire. Il ne faut pas non plus oublier que cette mouvance est sans doute la plus avancée en matière de participation des habitants à la vie et au fonctionnement des structures d’intervention.

Une gouvernance par la régulation politique

Dans les associations de la famille de l’éducation populaire, le projet a tendance à être plus politique que dans les modèles professionnel, familial ou charismatique. L’intervention située « aux côtés » des habitants vise le changement social. Cette orientation d’une politisation du projet d’action peut connoter le mode de gouvernance. Nous y trouverons, plus spontanément que dans les autres familles, un fonctionnement directement inspiré des principes démocratiques.

Deux mots clefs pourraient caractériser ce style de gouvernance : participation et coopération.

Une organisation de type coopérative

L’organisation est coopérante, c’est-à-dire qu’elle prend les moyens (assemblées générales, instances participatives, gestion déléguée ou décentralisée, etc.) d’associer toutes les parties prenantes de l’organisation.

Mode d’intervention : la « prise en compte »

A l’opposé des modèles de la prise en charge ou du don, se différenciant également du modèle de l’éducation (qui, dans cette typologie suggère comme les autres une dissymétrie entre l’éduquant et l’éduqué), le modèle de la prise en compte (Karsz, 2004) est basé sur la reconnaissance sociale et la parité des places (y compris si les rôles sont institutionnellement différenciés).

La commande publique aujourd’hui

Il est intéressant de comparer les modèles de la typologie présentée ci-dessus à ce que nous pouvons deviner de l’évolution de la commande passée aux associations d’action sociale.

L’hypothèse, sous-jacente à cette confrontation, est que les attentes, implicites ou explicites, à l’égard des associations se sont considérablement modifiées sous l’impact de nombreux facteurs. Sans les lister tous, nous pouvons citer :

  • La décentralisation et l’effet de mise à proximité des lieux d’action et de la décision politique ;
  • La formalisation des modèles d’intervention (guides de bonne pratique, évaluation, procédurisation des pratiques, etc.) ;
  • La refonte des catégorisations des usagers qui distingue les victimes (avec la figure de « la personne en situation de handicap ») et les responsables (avec la figure du mineur délinquant) ;
  • La rationalisation de la gestion qui tend à interroger le bien fondé des allocations budgétaires, leur reconduction automatique, et à produire des uniformisations (indicateurs de convergence tarifaire) ;
  • L’irruption de pratiques concurrentielles autour de logiques d’appel d’offre (Cf. loi HPST) et d’une ouverture du champ aux organisations lucratives (Cf. l’application de la directive services) ;
  • Le développement de pratiques de réseaux invitant les institutions à de nouveaux modes de gestion interne (Cf. les CPOM) et à de nouvelles échelles d’organisation (Cf. les GCSMS) ;
  • Etc.

Ces éléments, et d’autres qu’il faudrait compléter, (re)configurent la commande publique à l’égard des associations. Il n’y a là aucun complot, personne n’a les moyens aujourd’hui de décider depuis son bureau – fut-il à la DGAS – qu’une nouvelle injonction mettra au pas les associations dispendieuses et rétives à toute forme de contrôle. Le dispositif français d’action sociale est trop complexe pour que l’intention de quelques uns permette la mise en ordre d’un système coercitif. L’évolution de la commande publique est plutôt la résultante d’un rapport de forces qui croise le dispositif législatif et réglementaire, les choix politiques des autorités (Etat, département, communes), les options techniques issues des systèmes administratifs, mais aussi la manière dont les associations s’inscrivent dans ce dédale.

Un modèle administratif

Le modèle d’intervention, dans l’attente des autorités à l’égard des associations, comporte une dimension très instrumentale. Il s’agit de mettre en place les politiques sociales décidées selon la logique éprouvée du schéma administratif.

La dominante est l’archétype de la fonction publique qui met à mal les caractéristiques de la typologie présentée ci-dessus :

  • Le modèle de la militance professionnelle inspiré par la famille des Sauvegardes suppose la reconnaissance d’une autonomie des savoir-faire qui est rabrouée par une demande de simple exécution ;
  • Le modèle du bénévolat militant repérable dans les associations de parents – qui comporte une forte personnalisation de la relation – ne retrouve pas son compte dans le modèle administratif relativement impersonnel.
  • Le modèle caritatif fortement présent dans la famille « associations d’origine confessionnelle » est aux antipodes d’un fonctionnement administratif qui impose neutralité, distance et technicité ;
  • Le modèle de la militance sociale dominant dans l’éducation populaire induit des dimensions d’engagement qui ne sont pas reconnues par le modèle administratif, qui peuvent même être jugées nocives par ce dernier.

Une logique d’action libérale

La logique d’action qui transpire de la commande publique à l’égard des associations est de type libérale. Cette logique se déploie à deux niveaux :

  • D’une part dans une conception de l’usager qui est plus individu que sujet, c’est-à-dire inscrit dans une relation utilitaire au dispositif d’aide et non dans un lien intersubjectif ;
  • D’autre part dans une conception de l’économie de l’intervention. Au gré des évolutions des conceptions, l’action sociale se déplace d’une logique publique (garantir la solidarité de la Nation à l’égard des citoyens) à une logique libérale (trouver de nouveaux équilibres entre l’offre et la demande, subvention et solvabilisation…).

L’impact de cette logique d’action libérale sur les logiques des quatre familles de la typologie est considérable :

  • La logique publique des Sauvegardes est fortement appuyée sur le modèle de l’acquittement de la « dette sacrée » que l’État s’est assignée dans la mouvance de la Révolution française. Elle est donc lourdement interrogée par une libéralisation des logiques d’action qui remet en cause le paradigme fondateur ;
  • La logique domestique des associations de parents peut plus facilement s’accommoder de la logique libérale qui préserve l’espace privé des familles comme lieu possible d’action. Sauf que les associations de parents ont créé des formes instituées d’accompagnement de leurs enfants qui ne peuvent sans dommage se reconvertir dans des dispositifs marchands ;
  • La logique philanthropique des associations d’origine confessionnelle n’est pas congruente avec la logique libérale. Car ce n’est pas l’initiative privée – propre aux philanthropes – qui est privilégiée mais des modes de gestion qui ne provoquent pas, pour autant, le retrait des contrôles de la puissance publique ;
  • La logique communautaire des associations inspirées de l’éducation populaire ne s’accorde pas avec l’approche libérale. La première suppose une mobilisation des acteurs dans la réalisation de l’action, la seconde sépare radicalement le « vendeur » du « client » ;

Des membres « techniciens »

La rationalisation des pratiques et des protocoles convoque les acteurs sur le profil du technicien, c’est-à-dire de l’intervenant apte à activer des dispositifs techniques définis en dehors de lui. Cette figure d’acteur n’est pas celle des familles historiques des associations d’action sociale :

  • La figure des notables qui administrent les associations dans la famille des « Sauvegardes » n’est pas a priori celle des techniciens, même si des conseils d’administration sont composés à partir des compétences techniques des membres. Les notables dont il s’agit sont rarement compétents dans le domaine précis de l’action sociale et médico-sociale (sauf dans les associations qui prennent le risque de la consanguinité…) ;
  • La figure des militants de la famille des associations de parents est heurtée de plein fouet par le technicien. Dans la logique militante, il y a un mouvement ascendant qui va du repérage des besoins sur le terrain à l’exigence de moyens pour y répondre en passant par le stade de l’expression politique de revendications. La posture du technicien, telle qu’elle est entendue ici de manière un peu restrictive, est une posture d’exécution, la détermination de l’action se réalise ailleurs que dans l’observation des besoins ;
  • La figure du « religieux » du type « associations d’origine confessionnelle » n’a aucun point commun avec la figure du technicien. La première est faite de compassion, de bienveillance, d’attention (pouvant parfois être condescendante), la seconde est distancée, impartiale et détachée ;
  • La figure de l’animateur n’est pas plus en phase avec le technicien. L’animateur est celui qui donne de l’âme, de la vie, laissant surgir l’imprévu alors que le technicien contrôle, contient, évite les distorsions.

Une gouvernance par la régulation des politiques publiques

Ce n’est plus la régulation par le projet qui prévaut, telle qu’elle a marqué la période des « trente glorieuses » mais la régulation par les politiques publiques. La logique ascendante de l’expression des besoins observés sur les territoires et parmi les publics est remplacée par la logique descendante des appels d’offre pour répondre à des politiques sociales définies par la technocratie. Ce mode de régulation contredit les formes repérées dans notre typologie :

  • La régulation professionnelle peut perdurer mais elle s’est inversée. Alors que l’expertise professionnelle était convoquée pour permettre aux décideurs politiques d’appréhender les besoins à couvrir et les réponses à inventer, elle est, dans la régulation par les politiques publiques appelée à simplement ajuster la mise en œuvre des actions décidées sans eux ou au-dessus d’eux ;
  • La régulation utilitariste est axée sur l’efficacité des réponses, la performance des dispositifs. Elle peut trouver des convergences avec la régulation par les politiques publiques selon une logique consumériste[2] ;
  • La régulation sacrée fait appel à des valeurs d’un autre ordre que le pragmatisme radical de la régulation par les politiques publiques. L’ajustement des coûts (convergence tarifaire), la justification des dépenses (LOLF), la limitation des dépenses (ONDAM…) sont des principes qui mettent à mal l’idée d’une action sociale portée par un « idéal » ;
  • La régulation politique est particulièrement marquée par une démarche ascendante qui fait remonter les demandes des habitants sur les territoires vers le lieu de la décision politique. Ces deux conceptions (régulation politique et régulation par les politiques publiques) sont diamétralement opposées.

Une organisation de type « gestionnaire »

Une organisation de type « gestionnaire » (Afchain, 1997), pourrait représenter l’idéal de « l’association instrument des politiques publiques » tel qu’il émerge des textes législatifs. Ce modèle a pu être, un temps, incorporé par les représentations des associations. Après l’épuisement de leur dimension militante lors des moments fondateurs, les associations ont eu à cœur de démontrer à la puissance publique leur capacité à être de bons gestionnaires des fonds qui leur étaient « confiés ». Cependant, ce modèle n’est pas en harmonie avec les modèles fondateurs des quatre familles associatives présentées :

  • L’organisation de type corporatiste ne supporte pas le modèle gestionnaire qui met à mal l’autonomie professionnelle (le terme autonomie étant entendu ici au sens fort de son étymologie : pouvoir se donner sa propre loi indépendamment de toute incidence externe) ;
  • L’organisation de type familial ne perçoit pas en quoi des modèles de gestion pourraient s’imposer en dehors du modèle du « bon père de famille », c’est-à-dire qu’aucune contrainte ne peut limiter la (bonne) volonté de faire le bien des enfants ;
  • L’organisation de type charismatique trouve ses légitimités en dehors des contingences institutionnelles ou économiques. La prégnance des principes gestionnaires n’est pas du même registre et ne peut que heurter les associations référées à la famille « associations d’origine confessionnelle » ;
  • La forme coopérative est un mode de gestion qui, précisément, n’accepte pas de s’aliéner à des considérations de « bonne gestion » référées à des notions de rapport qualité/prix, de retour sur investissement, etc. Une organisation de type coopératif vit mal de voir les ambitions de son projet réduites par des contraintes gestionnaires.

Mode d’intervention : la prestation

L’action sociale est devenue, dans le langage utilisé, une « prestation sociale ». Ce passage de l’intervention à la prestation signifie des mutations en profondeur des paradigmes d’action (réduction des temporalités, localisation plus stricte de l’acte, délimitation un peu étriquée de ce qui est fait, etc.). Les anciens modes d’intervention volent en éclat sous l’effet de la « prestatisation » de l’intervention sociale :

  • La prise en charge n’a rien d’une prestation. Elle s’inscrit dans une logique de substitution (on prend la charge de l’autre à sa place ou à la place des parents) et dans un temps long. Ce ne sont là aucunes des caractéristiques de la prestation ;
  • L’éducation, si elle a été dénoncée plus haut pour la disparité des places qu’impose, ce mode d’intervention repose sur une notion forte d’engagement. Dans la prestation, ce n’est pas l’engagement qui est mis en avant, c’est l’échange, ce qui n’emporte pas les mêmes conséquences sur la mobilisation des parties prenantes ;
  • Le don suppose une certaine gratuité de l’acte (sinon un désintéressement vu qu’il est enchâssé dans la dialectique de la dette) qui ne se retrouve pas dans la prestation. Cette dernière tend à « marchandiser » la relation d’aide en définissant les conditions précises de sa comptabilisation (mérite, bénéfice, fructification…) ;
  • La prise en compte, qui ouvre la perspective du sujet défendue par Karsz, est tout sauf la réduction de l’usager au client ou au patient (Janvier, Matho, 2004) telle que semble l’initier le concept de prestation.

Conclusion

La typologie présentée dans ces lignes n’a aucune autre prétention que de nous aider à repérer quelques matrices qui ont, au travers de l’histoire des associations d’action sociale, structuré les représentations de ce qu’elles sont et de ce qu’elles font, les postures des acteurs qui les composent, les formes d’intervention.

Les grands modèles structurants, références, logiques d’action, catégorisation des membres, modes de gouvernance, types d’organisation et modalités d’intervention permettent, selon les quatre familles identifiées de mettre en lumière quelques éléments marquants.

Il est frappant, de rapprocher ces repères de ce que nous pouvons identifier de la commande publique passée aujourd’hui aux associations d’action sociale. Chacun des items présentés est fondamentalement remis en cause par le changement radical de références que suppose une adaptation aux attentes des pouvoirs publics telles qu’elles sont plus ou moins directement formulées.

Il n’est pas question ici de défendre les références du passé et de diaboliser l’évolution des attentes à l’égard des associations. L’enjeu est de se donner des clefs de lecture pour comprendre ce qui bouge et appelle de nouvelles mobilisations au profit de projets associatifs renouvelés mais toujours fidèles à leurs traditions historiques.

Un travail plus approfondi serait utile pour déduire de l’analyse présentée ici des pistes stratégiques à ouvrir.

Roland JANVIER

Lorient, le 21 novembre 2008


ANNEXE :

Tableau récapitulatif des grandes familles d’associations d’action sociale

Types

Modèle

Logique d’action

Catégories des membres

Modes de gouvernance

Type d’organisation

Mode d’intervention

SAUVEGARDES

Militance profession-nelle

Publique

Notable

Régulation professionnelle

Corporatiste

Prise en charge

MOUVEMENTS DE PARENTS

Bénévolat militant

Domestique

Militant

Régulation utilitariste

Familial

Education

ASSOCIATIONS D’ORIGINE CONFESSIONNELLE

Caritatif

Philanthropique

« Religieux »

Régulation sacrée

Charismatique

Don

EDUCATION POPULAIRE

Militance sociale

Communautaire

Animateurs

Régulation politique

Coopérative

Prise en compte

Tableau récapitulatif des caractéristiques de la commande publique aujourd’hui

 

Modèle

Logique d’action

Catégories des membres

Modes de gouvernance

Type d’organisation

Mode d’intervention

La commande publique aujourd’hui

Administratif

Libérale

Technicien

Régulation par les politiques publiques

Gestionnaire

Prestation

__________

BIBLIOGRAPHIE

AFCHAIN Jean. Les associations d’action sociale. Paris : Dunod, 2ème édition 2001.

AUTES Michel. Les paradoxes du travail social. Paris, Dunod, 1999.

BATIFOULIER Francis & NOBLE François, Fonction de direction et gouvernance dans les associations d’action sociale. Paris, Dunod, 2005.

CHAUVIERE Michel, Le travail social dans l’action publique, sociologie d’une qualification controversée. Paris, Dunod, 2004.

DUBET François, Le déclin des institutions. Paris, Le Seuil, 2002.

JANVIER Roland, MATHO Yves, Mettre en œuvre le droit des usagers dans les organisations sociales et médico-sociales, Paris, Dunod, 3ème édition 2004.

KARSZ Saül, Pourquoi le travail social ? Paris, Dunod, 2004.



[1] Il s’agit essentiellement des travaux menés par Fabrice Traversaz et Marc Hualde, laboratoire LISE au cours d’une recherche GNDA/Unifaf sur la dirigeance associative (non encore publiée). Les autres auteurs sont indiqués dans le texte et les ouvrages cités en bibliographie.

[2] Il est cependant difficile de décrypter cette position car les associations de parents savent, au travers de leurs fédérations, exercer un lobbying puissant. C’est ce qui fait que la loi du 11 février 2005, que nous pouvons juger comme ayant une forte consonance utilitariste, satisfait les associations de parents parce qu’elle reflète largement leurs attentes.

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Présentation de l’auteur

Roland JanvierRoland JANVIER, chercheur en sciences sociales, titulaire d’un doctorat en sciences de l’information et de la communication.
Je suis actuellement président du Comité Régional du Travail Social de Bretagne.
Repolitiser l'action sociale

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